L'évidence même : quand l'implicite guide nos pensées
Dans le langage courant comme dans les discours savants, certaines affirmations se passent de démonstration. Elles s'imposent avec une force tranquille, comme si leur véracité était acquise d'avance. C'est le cas des propositions introduites par "il va de soi que", "il est évident que", "nul ne peut contester que", et autres formules similaires. Ces expressions, employées à dessein ou par simple habitude, révèlent un pan fascinant de notre rapport au langage et à la pensée : celui de l'implicite.
Car affirmer "il va de soi que", c'est avant tout postuler une communauté de pensée avec son interlocuteur. C'est présupposer que l'idée énoncée ensuite est tellement évidente, tellement ancrée dans un socle commun de valeurs ou de connaissances, qu'elle ne nécessite aucune justification supplémentaire. Ce faisant, on s'épargne un argumentaire potentiellement long et fastidieux, tout en conférant à son propos une aura d'incontestabilité.
L'histoire regorge d'exemples où cette rhétorique de l'évidence a été utilisée à des fins politiques, religieuses ou sociales. Du discours des tribuns romains aux sermons des prédicateurs médiévaux, en passant par les pamphlets révolutionnaires, l'affirmation péremptoire a souvent servi à rallier les foules, à asseoir une autorité, voire à justifier l'injustifiable. Car si l'évidence peut être le fruit d'un raisonnement logique ou d'une observation objective, elle peut aussi se nourrir de préjugés, de stéréotypes, ou d'une manipulation savamment orchestrée.
D'un point de vue linguistique, l'emploi de "il va de soi que" et de ses synonymes soulève des questions intéressantes. Comment expliquer que des expressions, pourtant dépourvues de valeur informative intrinsèque, puissent exercer une telle emprise sur notre jugement ? La réponse réside sans doute dans notre tendance naturelle à privilégier les informations qui confirment nos opinions préexistantes, et à accorder davantage de crédit aux discours qui flattent notre sentiment d'appartenance à un groupe.
Pourtant, il serait réducteur de ne voir dans l'usage de l'évidence qu'une forme de manipulation ou de paresse intellectuelle. À bien des égards, le recours à des présupposés partagés est indispensable à la communication humaine. Imaginez un monde où chaque affirmation, aussi banale soit-elle, devrait être étayée par une argumentation rigoureuse ! Le dialogue serait impossible, et la vie sociale paralysée par le doute systématique. L'important, c'est de prendre conscience de la puissance de ces mécanismes implicites, et de cultiver un esprit critique face aux discours qui cherchent à les instrumentaliser.
Car si "il va de soi que" peut être un formidable outil de persuasion, il peut aussi se transformer en un frein à la réflexion, en un obstacle au débat contradictoire, voire en un terreau fertile pour les idées reçues et les discriminations. En définitive, la véritable évidence ne réside-t-elle pas dans la nécessité de questionner en permanence nos certitudes, et d'accepter que ce qui "va de soi" pour les uns peut être sujet à débat pour les autres ?
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